Bonjour,
Je savais que j’allais écrire une suite à Ma paternité, mais je ne savais pas quand. C’est une pièce de théâtre, vue l’automne dernier, qui a déclenché un tsunami de réactions et de réflexions sur mon rôle de père et ma culpabilité de ne pas avoir été le père que j’ai voulu être. C’est ce que je vous raconte ici. Et remplacez père par mère au besoin, je suis pas mal certain que vous allez vous y reconnaître un peu aussi, mesdames.
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Bonne lecture!
Le décor : ceci n’est pas une critique de théâtre
Une critique dans le journal du samedi qui m’interpelle. Une paire de billets achetée dans la journée. C’est sur un coup tête que je me suis rendu au Rideau vert en novembre dernier pour voir Le Fils. La pièce, écrite par Florian Zeller, a été traduite et jouée partout dans le monde depuis 2018. Si le nom de Zeller ne vous est pas étranger, peut-être avez-vous vu Le Père, qui a valu à Sir Anthony Hopkins son deuxième Oscar en 2021.
Bon, à la lecture, le résumé du scénario n’a rien d’exceptionnel. Un ado perturbé par le divorce acrimonieux de ses parents camoufle un mal de vivre. Occupés à se recréer un nouvel univers, ses parents ne prennent pas trop au sérieux les signaux de détresse. L’adolescence, vous savez! Ils ne sont pas en mesure de comprendre l’ampleur des difficultés de leur fils, eux, des adultes normaux qui font de leur mieux pour aider leur rejeton tout en essayant de retrouver un équilibre dans leur vie affective. Bref, une histoire de famille moderne. Mais, la vie ordinaire est une suite de petits drames. La dépeindre avec justesse est un art que Zeller maîtrise parfaitement.
Prologue : le choc
Je n’ai jamais été aussi perturbé par une oeuvre artistique. JAMAIS. Aucune pièce de théâtre, aucun livre ou film ne m’a affecté à un tel point. On y parle de la santé mentale des jeunes, de la crise de l’adolescence, des problèmes d’adaptation à la suite du divorce, de l’abandon et de la difficulté de refaire sa vie sentimentale quand on est parent. Mais ce qui transcende toute cette oeuvre, c’est la culpabilité parentale. Celle que portent de nombreux géniteurs qui se demandent ce qu’ils auraient pu faire de mieux. C’est aussi une question qui m’habite profondément. La pièce m’a interpelé à plusieurs égards et m’a forcé à l’introspection.
Premier acte : une mère en perte de repère
La mère n’arrive toujours pas à trouver ses repères, même après quelques années. Ce n’était assurément pas son choix. Elle est habitée par le souvenir d’une vie familiale heureuse, comme dans une boule à neige musicale. Sa mélancolie aigüe plombe son existence. L'ado est témoin de sa détresse et cultive de la rancœur envers son père qui les a abandonnés tous les deux. Son fils ne va pas bien; une mère sent ces choses-là. Mais comment reconnaître le mal-être de l’autre quand on est plongé dans le sien?
Deuxième acte : la vie réinventée d’un père ordinaire
Le père a pris un nouveau départ avec une autre femme, plus jeune. Un enfant vient de naître. Il tente de composer avec sa vie passée et cette autre pleine de promesses. Avec toute la maladresse d’un papa ordinaire, il cherche à faire une place à son adolescent dans cette nouvelle vie.
Mais le divorce ne constitue pas une véritable renaissance. Comment repartir à zéro quand on traîne le poids de son existence sur son dos?
Le fils reproche à son paternel la déchirure de la cellule familiale, son abandon ainsi que la détresse de sa mère. Dans une empoigne père-fils épique, le père tente de se disculper en s’époumonant « C’est ma vie! C’est MA vie!! Comprends-tu? C’EST-MA-VIE!!! »
Combien de fois ai-je utilisé cette phrase pour justifier à moi-même mes choix?Comme parent, est-il égoïste de vouloir suivre un nouveau chemin? De penser à soi d’abord quand vient de prendre une décision sachant qu’elle aura des impacts sur sa famille? Que doit-on sacrifier pour être plus heureux? Ce sont des questions qu’on se pose lors d’un déménagement, d’un changement d’emploi ou d’un divorce.
Troisième acte : un ado en mal de vivre
Le fils ne trouve pas sa place dans cette famille recomposée. En fait, il ne trouve sa place nulle part, ni chez sa mère, ni parmi les jeunes de son âge, ni sur cette planète. «À quoi ça sert, ça? La vie? Pi toute?». Il traverse un trou noir existentiel et ira jusqu’à atteindre à ses jours. Les parents, morts d’inquiétude, nagent dans l’incompréhension. On ne met pas des enfants au monde pour qu’ils rêvent de le quitter. Comment ont-ils pu passer à côté d’une telle détresse? Quels signaux n'ont-ils pas pris au sérieux? Pourquoi n’ont-ils pas pu empêcher cela?
La santé mentale de nos ados constitue une préoccupation importante en ces temps modernes. Mais les parents ne sont ni psychiatres ni thérapeutes. Comme parent, est-ce qu’on fait tout ce qu’il faut pour les soutenir à travers leurs difficultés? Selon de nombreux ouvrages en psychologie, tous nos problèmes sont reliés à notre enfance et à nos vieux. Alors, quelle est réellement notre part de responsabilité? Quelles paroles n’auraient pas dû être prononcées? Quels gestes auraient dû être posés? Quelles mauvaises décisions auraient pu être évitées? Quelles cicatrices cela a-t-il laissées chez nos enfants? Des questions impossibles, mais des questions qui nous chicoteront jusqu’à notre mort. Et pourrait-on y changer quoi que ce soit après tout?
Tombée de rideau
À la fin de la pièce, j’étais sans mots. En état de choc. Ai-je été le père que j’ai voulu être? Non. Je suis juste un autre père ordinaire qui n’a pas réécrit la définition de la paternité. Comme parent, ai-je été et suis-je suffisamment présent, aimant, à l’écoute et aidant? Et comme homme, ai-je été égoïste?
Vous pourriez bien me dire que je n’ai pas été un si mauvais père que ça, qu’il y en a de bien pires que moi, mais ça ne m’apaiserait pas. Moi, je voulais être le meilleur des papas.
Épilogue
Ça fait beaucoup de grosses questions pour une pièce de 90 minutes. Pourtant, je ne pense pas être le seul à me les poser. Comme parent, place-t-on la barre trop haute? Nos attentes sont-elles réalistes? Et celles de la société? En voulant en faire trop, est-ce qu’on empire les choses? Voilà pourquoi le thème de la culpabilité parentale m’interpelle.
Selon la psychologue Ginette Lafleur, «La culpabilité, ce déplaisant malaise intérieur, prend ses racines dans l’impression, réelle ou imaginaire, d’avoir commis une faute, d’avoir mal agi, d’être allé à l’encontre de ses valeurs. La culpabilité n’est pas toujours mauvaise. En effet, quelqu’un qui n’en éprouve jamais s’appelle un psychopathe. »
Alors, je ne suis pas psychopathe (bonne nouvelle) et ma culpabilité serait une forme d’empathie. Cette culpabilité serait liée à mon système de valeurs, ce en quoi je croyais au moment de fonder ma famille. Comment voulais-je vivre ma paternité et comment l’ai-je réellement vécu? C’est ce fossé qui est le moteur de ma culpabilité. On peut donc se demander comment ce fossé s’est creusé. Pour le savoir, il faut observer les deux rives (si les fossés possèdent réellement des rives…)
Alors d’un côté, il y a mes valeurs et mes attentes. Comme de nombreux hommes avant moi, je voulais tellement en donner plus que mon père. Pas que j’aie eu un mauvais père, loin de là, mais je voulais offrir une version améliorée, plus moderne, plus proche, plus je-ne-sais-quoi. Pas facile pour un jeune homme de jouer son rôle de père. Un être humain dans toute sa complexité qui embrasse la mission de sa vie, en y mettant tout son cœur. C’est Spiderman qui jongle mal avec les sentiments de Peter Parker. C’est Superman qui veut faire oublier les faiblesses de Clark Kent. Mais le mythe du super papa ne dépasse pas la petite enfance. On est vite démasqué puis rattrapé par le scénario de notre propre existence, nos pouvoirs limités par la kryptonite de la vie.
Je suis aussi le fruit d’une société qui a redonné beaucoup de sens à la paternité. En 1930, un bon père était un homme qui rapporte assez d’argent à la maison pour faire vivre ses 15 marmots. Point. Heureusement, aujourd’hui, les responsabilités parentales sont mieux réparties, les hommes sont plus présents dans l’éducation des enfants, mais la définition de tâche s’est allongée passablement. Leur montrer à faire du vélo et leur faire croire la fée des dents n’est plus suffisant. Les parents doivent aussi les conscientiser à la cybersécurité et la citoyenneté numérique, au consentement sexuel, à la cyberdépendance, à la consommation du cannabis récréatif, etc. La société place la barre de plus en plus haute! Les parents ne sont pas trop de deux - ni même de quatre - pour faire la job!
De l’autre côté de mon fossé idéologique, il y a la réalité de ma paternité, telle que je l’ai vécue. Je n’ai pas suivi le plan de match. J’ai participé à l’éducation de mes enfants avec instinct, sans suivre le livre, sans perfection. Sans les pousser à jouer du piano ni à écouter du classique. Sans les amenés au Musée des beaux-arts. Sans leur parler suffisamment de santé sexuelle. Sans les traîner dans les arénas pour en faire des Lemieux ou des Rochette. J’ai arrêté les cours de natation le dimanche matin parce que c’était le dimanche matin.
Puis un divorce et un coming out m’ont nous ont forcé à sortir de la route que j’avais tracée. À l’adolescence, je n’ai pas été le papa le plus cool. Moi, le prof du secondaire, je n’ai pas toujours su décoder les signes de leurs difficultés. Trop occupé à recoller les morceaux de ma vie, j’ai souvent confié au temps la responsabilité d’effacer les problèmes de mes enfants, exactement comme le paternel de la pièce.
Voilà donc l’étendue du fossé de mes valeurs paternelles. J’arrive à un point où je dois faire des ponts entre ces deux rives (si les fossés possèdent réellement des rives) pour trouver une certaine paix intérieure. J’aurais voulu en faire davantage, mais je ne peux pas remettre la pâte à dents dans le tube. Malgré tous ses pouvoirs, Superman se sentira toujours coupable de ne pas en avoir fait assez pour sauver l’humanité. La résilience est ma meilleure alliée. Et comme le mentionne la Dre Lafleur, «Lorsqu’on pèse trop vite et trop longtemps sur le piton de la culpabilité, on peut se torturer inutilement.» Je vais méditer là-dessus Dre Lafleur.
Cela dit, je suis très fier de mes enfants et demeure impliqué auprès d’eux. Ces deux jeunes adultes mordent dans la vie avec la même fougue et la même naïveté que j’avais moi-même à leur âge. Certes, ils naviguent dans un monde bien différent du mien à leur âge, mais ils sont aussi plus intelligents et plus sensibles. Ils auront peut-être un jour l’occasion d’être parents et tenteront de faire mieux que leur père. C’est une belle consolation. Quant à moi j’essaierai d’être un super papi, un rôle qui me semble plus facile à jouer.
N.B.: The Son, l’adaptation cinématographique de la pièce Le fils doit sortir en salle en janvier. Apportez vos mouchoirs.
Je me retrouve toujours dans tes textes. Merci de me donner les mots pour m’exprimer.
Ton texte me touche profondément parce que je vis les mêmes sentiments,
les mêmes questionnements. Tu as les mots justes pour décrire les parents. Il m'arrive souvent de rêver que la vie est "Un livre dont vous êtes le héros "pour revenir en arrière, pour corriger les erreurs, pour faire mieux. Ho! Que je ne suis pas une psychopathe moi non plus! Je ne suis pas prête pour voir la pièce, mes nuits de réflexions me suffisent pour le moment. Merci pour ce texte. Lyna :)