L'immortalité numérique par défaut
ou comment votre compte Facebook vous survivra après le grand voyage?
Bonjour,
Je vous l’avais dit que j’allais récidiver plus souvent. Aujourd’hui, je vous propose la suite de Manuel de la mort sauvage, avec des propos disons, plus informatifs. Sans me définir comme une publication de services, je ne déteste pas informer et vulgariser de temps en temps. Encore la mort, je vous entends dire? C’est peut-être l’automne, la mort de Sa Majestée ou les résultats électoraux? Enfin, c’est quand même un des sujets les plus fertiles en littérature, au théâtre, en chanson et en cinéma.
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L'immortalité numérique par défaut
Que diront vos arrière-arrière-arrière-petits-enfants quand ils verront cette photo Facebook de 2004, sur le party en chandail-bedaine et souliers plateforme, dans un show des Cowboys fringants? Ou sur Instagram, devant le fourneau en train de faire des recettes pompettes avec votre best? Qu’adviendra-t-il de vos vidéos sur YouTube après la crémation? De vos courriels sur Gmail après l’embaumement? De votre budget Excel après les funérailles?
En 2022, non seulement la question se pose, mais il faut se la poser sérieusement. Comme le disait Maximus, dans Gladiateur: «Ce qu’on fait dans la vie résonne pour l’éternité». Deux mille ans avant Instagram, un visionnaire ce Maximus! Chaque jour, près de 8 000 personnes inscrites sur Facebook décèdent dans le monde. Leurs pages sont, pour la plupart, laissées à l’abandon. Et c’est sans compter tous les autres réseaux sociaux! Après le testament et le mandat en cas d’inaptitude, faut-il aussi penser à nommer un mandataire de votre cyberespace? Voici ce qu’il adviendra de vos données collectées par les GAFAM+ de ce monde. Prenez des notes!
Comme chez l’entrepreneur en pompes funèbres, la gang à Zuckerberg vous propose plusieurs options post mortem. Vous pouvez demander, de votre vivant, que votre compte soit désactivé au-delà de votre durée de vie utile. Ou alors, désigner une ou un légataire, qui devra gérer votre page pour l’éternité. C’est long ça, l’éternité! Cette personne pourra changer votre photo de profil et écrire une publication posthume. Votre p’tit neveu fait des posts sur TikTok, du genre «chu tro bo aec ma tuk»? Un conseil, trouvez quelqu’un d’autre. La ou le légataire devra aussi répondre aux nouvelles demandes d’amitié, parce que oui, tante Monique pourrait avoir plus d’amis une fois morte! Dernier détail, la personne désignée doit être une amie ou un ami Facebook. Votre liste d'«amis sauf connaissances» est-elle à jour?
Chez Instagram, on offre également le forfait «page posthume» et la fermeture automatique du compte. Ici, pas besoin de désigner une personne. Il suffit qu’une ou un proche remplisse un formulaire, certificat de décès en main.
Le réseau préféré des journalistes et des haters désactivera tout bonnement votre comte après votre mise en urne. Il suffira d’en faire la demande (pas vous, votre succession) après avoir trépassé. Simple de même!
TikTok
Le très très populaire réseau social chinois n’a que faire de votre épitaphe. En fait, pour TikTok, après 180 jours sans connexion, vous êtes déjà mort. Si vous partez plus de six mois sur un trip d’ayahuasca en Amazonie, TikTok remplacera votre nom pour un nombre aléatoire et votre compte ne vous appartiendra plus. Toutefois, le contenu continuera d’être visible bien après l’année du Tigre de bois. La vie privée, en Chine, on ne s’enfarge pas avec ça.
Google (YouTube, Gmail, Maps, etc.)
Il n’y a pas que les médias sociaux qui connaissent nos vies par cœur. Un déplacement chez votre maitresse? Une photo peu flatteuse à l’après-bal? Une vidéo avec votre ex? Google en sait bien plus sur vous que Facebook. Heureusement, la firme permet de définir de votre vivant ce qu’il adviendra de votre compte inactif. À moins que vous en décidiez autrement, après 2 ans d’inactivité, votre compte sera supprimé. Il est aussi possible de nommer une ou un mandataire. Finalement, Mountain View est pas mal plus respectueuse de vos données après, qu’avant votre trépas.
Microsoft (Outlook, Hotmail, OneDrive, etc.)
Bill Gates fermera aussi votre compte après 2 ans. Ne partez pas en sabbatique pendant 2 ans, vous pourriez avoir une maudite surprise à votre retour au bureau. Mais est-ce que fermeture signifie destruction des données? Je ne gagerais pas là-dessus. Surtout que vous savez maintenant que Microsoft travaille sur la production de doubles numériques des défunts à partir des traces laissées par ces derniers pour discuter avec leurs proches. Gates nous rappelle ainsi que vos données personnelles, lui appartiennent, jusqu’à la fin des temps.
Apple (iCloud, Apple TV+, iPhone, etc.)
Disciples indéfectibles d’Apple, je termine avec vous. Votre gourou, Tim Cook, a prévu la désignation d’une ou d’un légataire. Une fois le formulaire complété, votre iPhone fournira une clé d’accès. Faites une capture d’écran et envoyez-là. Si vous êtes plutôt du genre à imprimer et à transmettre par fax, les 694 derniers mots doivent vous sembler bien vides de sens… Après vos obsèques, la personne désignée pourra contacter Apple, certificat de décès numérique en main. Cette personne pourra faire le ménage de votre compte et écouter Black Bird ou For All Mankind sur votre Apple TV+, mais seulement pour trois mois.
Le mot de la fin
Ça fait bien des choses à voir avant de trépasser. Aussi bien commencer tout de suite! Heureusement, il existe quelques solutions pour se faciliter la tâche. Pour les amateurs du fax - vous êtes encore là! - la plus simple consiste à inclure les codes d’accès de tous vos comptes numériques dans votre testament. Mais maintenir cette liste à jour, alors qu’on nous demande de modifier nos mots de passe aux deux mois, c’est du sport!
Il existe également des applications spécialisées dans le transfert de responsabilité des données après la mort (ex. : Legapass). On retrouve aussi des gestionnaires de mots de passe (ex. Lastpass, 1Password) qui en plus de sécuriser vos données remettront vos codes d’accès numériques à votre mandataire après votre disparition.
Selon Option consommateur, la majorité des Canadiennes et Canadiens n’a prévu aucune mesure à prendre concernant ses données après le passage de la grande faucheuse. Je m’inclus dans le lot. En Europe, la loi facilite l’accès et la destruction des données après un décès. Ici, c’est l’immortalité numérique par défaut. C’est à nous de s’assurer auprès des GAFAM, BATX et autres grandes institutions, qui nous connaissent mieux que notre propre mère, que toutes nos traces seront effacées avant le grand Voyage.
Je sais, pour certains, faire son testament ou ses «dérangements» funéraires, ça donne des frissons dans le dos. Mais le sujet méritait un article. Je vous laisse ici quelques liens pour débuter vos démarches.
À bientôt!
J'ai bien ri. Merci ! Pas de presse pour la faucheuse mais j'ai pris des dispositions pour finir dignement. Concernant mon passé numérique, ça risque d'être un sacré bordel, quel droit s'appliquera pour les binationaux ?
Ma conjointe a pour consigne, quelques jours après la moisson, de publier sur mon compte Facebook ce message: "C'est nul, il n'y a même pas de Wifi"