Ce texte a été écrit en début d’été 2022. J’ai longtemps hésité avant de le publier. Après Ma paternité, il s’agit ici d’un texte encore plus intime où je reviens sur une période un peu plus perturbée de ma vie. Je me suis intéressé à ma propre recherche de l’Amour et au prix qu’on est prêt à payer pour ne pas être seul. Un sujet pas nécessairement rigolo (ne quittez pas tout de suite), mais que j’aborde sous l’angle du souvenir musical. Soyez rassurés, je parle ici d’un passé assez lointain pour m’en être détaché, un peu.
Et si jamais ça vous plaît, un peu ou beaucoup, partagez s.v.p!
Bonne lecture!
La vie nous marque, laisse des traces indélébiles sur notre âme, comme des coups de couteau dans l’écorce d’un chêne. Comme plusieurs, j’ai vécu mon lot d’amours déçues et de ruptures pas toujours volontaires. Si les plaies guérissent, la mémoire en garde pour toujours les stigmates. Il suffit de deux notes pour me ramener sur les lieux de mes désillusions amoureuses.
Appelez-moi nostalgique, romantique ou pathétique, mais il y a de ces vers qui me ramènent en arrière et me rappellent la douleur, le manque, le vide, le rejet, l'absence. Je vous en partage quelques-uns accompagnés d’extraits musicaux (pour les plus curieux et curieuses). Je conçois parfaitement que ni ces paroles, ni cette musique ne connoteront rien de similaire à ce que je ressens. Mais peut-être vous reconnaîtrez-vous dans les sentiments qu’ils m’évoquent.
Je commence par I don’t wanna leave de Rüfüs Du Sol. Toutes les paroles de cette chanson me rappellent une soirée mémorable, belle comme une lune rouge, éphémère comme l’aube. Quand j’entends «I don't wanna leave right now. So stay with me for one more night», je pense à ces moments intenses, où l’on voudrait arrêter toutes les horloges pour en profiter encore un instant.
Ces dernières nanosecondes où on aimerait encapsuler ne serait-ce qu’un atome de ses phéromones. Cet instant troublant, juste avant que le lit ne se vide de ses vibrations cosmiques, juste avant qu’on se retrouve seul à contempler le vacuum intersidéral de nos vies.
Dans Impermanence, Assemblage 23 demande : «Just for one night, can we pretend that we are happy? […] Can we leave behind our grief?». Cette chanson me ramène à un étrange moment où, sachant tous les deux que c’était fini, on s’est quand même accordé une ultime et dernière nuit. Quand le malaise et le torride se mélangent, que les regards refusent de se croiser, que le silence est de plomb et qu’on essaie de reproduire la magie. Cette nuit à tenter de voler des p’tits morceaux de l’autre, pour ne jamais s’oublier. Et pour quelques instants, sublimer les raisons pour lesquelles il n’y a plus de nous qui tienne.
Quand Pink, sur Try, chante : «Funny how the heart can be deceiving. More than just a couple times. Why do we fall in love so easy. Even when it's not right?», c’est à mes propres illusions qu’elle fait écho. À tous ces signes que je n’ai pas voulu voir et ma recherche désespérée de l’amour qui m’ont mené à foncer tête baissée dans des relations perdues d’avance, futiles voire malsaines. Cette lumière aveuglante vers laquelle j’ai souvent papillonné. Jusqu’où peut-on s'illusionner pour ne pas être seul? Quel prix sommes-nous prêts à payer? Comme s’il suffisait simplement d’y croire pour que ça fonctionne.
Il y a aussi de ces moments magiques et mémorables, de ceux qui génèrent le Grand Frisson. Et même lorsque la suite s’annonce improbable, quelle ivresse que de se sentir désiré dans des bras aussi confortables qu’inconnus. Quand, dans La planque à libellule, Ingrid Saint-Pierre chante : «Dis-moi que tu m’aimes ou fais semblant!», elle me rappelle une de ces soirées à sens unique, un cul-de-sac sentimental. Ce moment où j’ai feint de me sentir aimé - le Razzie Award du pire premier rôle masculin - pour me sentir vivant, le temps d’un seul acte. Puis me sentir mort, au baisser de rideau.
Dans un texte troublant, Louis-Jean Cormier demande «Ça s'répare-tu un cœur? [..] Ça s'réchauffe-tu un froid? [..] Ça s'recolle-tu l'amour?»
Dans Le jour où elle m’a dit je pars, où les paroles sont empreintes de stupéfaction, de désarroi et de colère, l'auteur-interprète dépeint fort justement cet instant brutal, celui du «je pars». Quand l’autre annonce «l’inannonçable», un reality check pour la moitié qui reste.
Après d’interminables nuits à tenter de remettre la pâte à dent dans le tube, la douleur de s’avouer que tout est définitivement dé-fi-ni-tif.
On a beau avoir répété encore et encore, jouer le rôle de l’Ex, c’est du grand art. Mais qu’est-ce que j’esperais? Garder un statut spécial? Le passage du statut de grand confident, d’intime parmi les intimes, à celui du gars-que-j’ai-déjà-connu, est pavé d’illusions.
C’est pourquoi Somebody I used to know, de Gotye, m’a longtemps tirer les larmes sous la douche (qui peut voir les pleurs dans la douche?) Oh que je l’ai chanté! «But you didn't have to cut me off. Make out like it never happened and that we were nothing. […] But you treat me like a stranger and that feels so rough.» Mettre l’accent tonique sur nothing et stranger.
Et voilà qu’après avoir goûté à cette médecine, je me suis surpris à la servir à mon tour. Boomerang! Il n’y a pas de gants assez blancs ou de paroles assez justes. Si seulement j’avais le courage des mots.
Voilà! Victor Hugo a dit : «Il n’y a rien de plus précieux en ce monde que le sentiment d’exister pour quelqu’un». Mais jusqu’où sommes-nous prêts à aller? La musique a le don de raviver nos souvenirs, qu'ils soient doux ou amers. La zone limbique du cerveau frontal conserve les souvenirs associés aux émotions ressenties. C’est ainsi que les mélodies et les vers, comme des canifs affûtés, laissent des traces dans notre cerveau et sur l’écorce de notre âme. Et moi, je traîne mes balafres amoureuses comme des blessures de guerre.
«J'sais bien qu'tu m'oublieras. Qu'une autre grimpera sur ton toit. Dans ta presqu'île d'appartement. Dis-moi que tu m'aimes ou fais semblant. T'as bousillé mes certitudes pourtant tout me ramène à toi. Et dans ta planque à libellules, moi j'irai grimper sur ton toit.» Ingrid Saint-Pierre