Ça y est! Je suis lu hors Québec. Ma réputation traverse les océans comme un ballon espion météorologique chinois. Un(e) abonné(e) me lit sur une île hawaïenne, une fleur de lotus dans les cheveux, et un(e) autre sur les sables chauds du Maroc. Enfin, c’est comme ça que je me les imagine! Bienvenue!
Ma plus récente découverte sur Substack est Adam Mastroianni, un essayiste étatsunien (ce gentilé me fait toujours sourire) dont les textes me font progresser comme humain. Ses mots forment une marmelade intéressante, un mélange de fruits philosophiques pas trop sucrés, d’écorces scientifiques pas trop amères, le tout dans une pectine psychologique assez digeste. Je vous parle ici d’un de ses récents textes qui traite de la stupidité humaine qui, selon lui, n’existerait tout simplement pas. Vous n’êtes pas d’accord? Vous avez des candidats bien réels en tête? Alors la lecture n’en sera que plus intéressante!
Aloha! 🏄♂️
P.S. : Je parle de la pandémie, mais seulement dans les 15 premières lignes. Ceci n’est pas un texte sur la COVID. Promis.
Vous le savez, la pandémie de COVID-19 a jeté une lumière aussi subite que surprenante sur notre humanité. Des amis, des collègues ou même notre propre famille avaient des avis divergents sur des sujets comme la vaccination, la gestion de la crise ou nos droits et libertés. On avait connu la guerre Canadiens vs Nordiques, mais ça? Ouf!
On a entendu toutes sortes de discours allant du virus créé dans un laboratoire chinois, à l’efficacité critiquée du port du masque, en passant par la distanciation sociale dans les transports en commun, les vaccins sûrs et homologués, l’OMS contrôlée par les Big Pharma, le passeport vaccinal qui sonne le début de la fin de nos libertés, le vaccin contenant la puce 5G ou la nécessité de la ixième dose de rappel. On a aussi vu des manifestations anti-mesures sanitaires, des conférences de presse anxiogènes quotidiennes, des convois de la liberté sur odeur de diesel, des comptables convertis en youtubeurs pour nous informer, des familles qui se déchirent, des gens qui font file au Stade olympique pour obtenir leur dose, et j’en passe.
La poussière commence à peine à se déposer qu’on se dit qu’il fallait complètement être stupide pour croire à de pareilles niaiseries. Mais, était-ce bien de la stupidité? Dans The radical idea that people aren’t stupid, Adam Mastroianni se place en porte-à-faux par rapport au discours populaire.
Stupide : Adj. (latin stupidus, stupéfait) Qui manque d'intelligence, de jugement, de réflexion.
C’est vrai qu’il semble difficile d’expliquer autrement que par la connerie le fait que des gens portent en permanence un chapeau en papier d’aluminium pour éviter d’être contrôlés par des ondes électromagnétiques terrestres ou extraterrestres. D’ailleurs, les Darwin Awards récompensent chaque année les championnes et champions toutes catégories décédés dans des circonstances tellement bêtes qu’elles remettent en doute le jugement des récipiendaires. De la sélection naturelle, dit-on à la blague…
N’empêche, de la stupidité, on en mange et on en redemande! YouTube, Facebook, TikTok et Instagram font des milliards de profits à nous montrer combien la planète est peuplée de personnes d’une idiotie sans nom. Mais n’est-il pas trop facile justement de juger les personnes qui ne pensent pas comme nous? Donner une explication simple ou simpliste à ce qu’on ne comprend pas, c’est justement ce qui est reproché à ces personnes dites stupides.
Il m’arrive parfois, avec ma formation scientifique et mon argumentation rigoureuse, de juger les personnes qui ont des discours irrationnels, comme celles qui croient que la Terre est plate ou qui fondent leurs espoirs de guérison du cancer dans la manipulation des cristaux. Je comprends qu’on puisse avoir des arguments différents des miens. Tant qu’ils sont basés sur la logique et les faits, je suis disposé à écouter et à débattre. Cependant, pour les discours irrationnels, j’avoue que j’ai le jugement facile. Je ne m’acharne même pas. J’économise ma salive et je change de poste. Mais pour Adam, une rationalité imparfaite ne rime pas avec stupidité. Il compare les raisonnements erronés à des illusions d’optique.
Cette image prouve-t-elle que nous ayons une mauvaise vision? Bien sûr que non. Notre encéphale traite des millions d’informations à la seconde. Pour sauver du temps, il extrapole ou se fait sa propre représentation. Les illusions d’optique ne sont que des formes géométriques particulières qui exposent les failles de notre système nerveux. Pour Adam, les illusions cognitives (cognitive illusion) sont faites de mots et de chiffres plutôt que d’images. Elles nous permettraient de comprendre comment le cerveau fonctionne en mettant en lumière ses limites.
De l’illusion au biais cognitif
Bien qu’Adam n’utilise pas le terme, ses illusions cognitives s’apparentent à des biais cognitifs, l'étiquette en moins. A-t-il peur de l’ordre des psychologues étatsunien? Dans les deux cas, notre cerveau prend des raccourcis qui nous embrouillent la vue, nous embuent l’esprit. On compterait de 30 à 200 de ces biais cognitifs, selon la typologie de référence. Cela veut dire que, chaque fois que je donne mon opinion, mon raisonnement doit traverser un véritable champ de mines. Et malgré ma grande rigueur scientifique et mon esprit critique reconnu – BOOM! Je viens de passer sur un biais de preuves anecdotiques, un biais d’excès de confiance, un biais d’autocomplaisance, un biais d’optimisme ou un biais de vérité illusoire. Pas facile de s’exprimer sans y laisser quelques plumes.
Du réalisme naïf au biais de correspondance
Alors pourquoi sommes-nous si facilement enclins à penser que les autres sont stupides? Selon Adam, c’est tout simplement parce que c’est la chose la plus facile à croire. Cela s’expliquerait par trois illusions cognitives dont nous sommes nous-mêmes victimes.
D’abord, le réalisme naïf (naive realism), cette croyance que le monde est exactement comme nous le voyons, que tout le monde voit et entend exactement la même chose. Si votre voisin ne partage votre point de vue sur le but d’Alain Côté, c’est qu’il a une mauvaise perception de la réalité. Et s’il refuse de changer d’idée, malgré vos arguments béton, c’est forcément qu’il est bouché des deux bouts. Pourtant, nous savons que notre cerveau interprète les stimuli de l’environnement. Voyons-nous tous exactement la même teinte de rouge? Percevons-nous exactement la même température de l’eau? Dès lors, le monde est-il vraiment tel que chacun le perçoit? (C’est ça la marmelade scientifico-philosophique dont je vous parlais en introduction ).
Interviendrait ensuite la distanciation psychologique (psychological distance). Lorsque votre collègue carnivore, qui jette un regard dédaigneux à votre salade kale et tempeh saveur de bacon, vous explique pourquoi son mode alimentaire est supérieur au vôtre, il est facile de croire que vous n’avez pas la même éducation ou qu’il n’a pas tous les faits. Au final, ce n’est qu’un imbécile congénital de plus dans votre entourage.
Pour Adam, la distanciation psychologique fait en sorte que les personnes qui ne pensent pas comme vous sont perçues comme des sous-humains qu’il qualifie de «blobs». Vous savez, ces masses gélatineuses, gluantes et informes qu’on voit dans les mauvais films d’horreur? Si le beau-frère n’est pas d’accord avec vous et qu’il ne veut pas se ranger à vos arguments, alors il n’est qu’un stupide blob que vous pouvez ignorer. Avouez que c’est plus pratique que de chercher les bases de son raisonnement.
Et troisièmement, il y aurait le biais de correspondance (correspondence bias). Il s’agit de notre tendance à expliquer les comportements d’un individu par sa personnalité plutôt que par des situations externes. Si votre voisine se dit pour la peine de mort, c’est une mauvaise personne qui manque d’empathie et non une victime d’une violente agression à l’adolescence. Que celui qui n’a pas marché une semaine dans ses souliers lui lance la première pierre! (ou quelque chose comme ça)
Celui qui le dit, celui qui l’est
Personne n’étant à l’abri de ces trois illusions, serions-nous tous candidats à la stupidité? Et est-ce à dire que notre cerveau est programmé pour être stupide? Si oui, il y aurait longtemps que notre espèce serait disparue. Les plus pessimistes diront que c’est pour bientôt! Je vous rappelle que nous avons inventé la guillotine, le papier de toilette et la poussette à chien. On ne doit pas être si cons, non?
Adam rappelle que le réalisme naïf a été nécessaire dans notre évolution. L’homme ne pouvait pas philosopher 10 minutes en face d’un tigre à dents de sabre pour déterminer si ce qu’il voyait était bien réel. Tout comme la distanciation psychologique nous a permis de catégoriser rapidement des groupes d’hommes sans avoir à les analyser individuellement. Ça ferait beaucoup de paires de souliers à chausser!
Trop idiots pour se gouverner
Par le passé, croire que certaines personnes sont trop stupides et que la vérité doit être détenue par une élite nous a menés à des événements historiques malheureux que nous préférions effacer de notre mémoire collective. Les systèmes démocratiques, où la voix de tous les citoyens et citoyennes compte, ont généralement apporté une amélioration de la qualité de vie. Dans l’histoire moderne, l’empathie, l’entraide et l’amour l’ont emporté sept fois sur dix. OK, on l’a échappé avec Pol Pot, Hitler et Trump, mais on ne peut quand même pas dire que la grande majorité des humains est trop idiote pour gérer son destin.
Aucun idiot, que des incompris
Je ne suis pas entièrement d’accord avec Adam. J’ai vu des gars se brocher le scrotum sur TikTok! Je veux bien avoir l’esprit ouvert, mais là, un scrotum, une brocheuse… Pourtant, même eux ont des motivations qui leur sont propres (clics, argents, reconnaissance, popularité, estime de soi, etc.) Ma vision du monde m’empêche totalement de les comprendre et mes biais cognitifs m’amènent à les considérer comme les pires des idiots.
Selon l’auteur, il faudrait s’affranchir de nos illusions cognitives et modifier notre état d’esprit pour enfin croire en l’humanité. Il faut nous défaire de l’idée séductrice à l’effet que l’autre est fondamentalement idiot. Sinon, c’est le début des hostilités, des discours de sourds et le rejet des blobs gluants. Il faudra bien trouver une façon de construire des ponts.
De ce côté-là, c’est très mal barré. Internet, les médias sociaux et notre manque d’appétit pour la vérité nous confinent sur des rives opposées. Des personnes ayant les mêmes croyances s’enferment dans des chambres d’écho, ce qui ne fait qu’augmenter le réalisme de leurs illusions. Les discours sont de plus en plus polarisés et polarisants. Pas facile de faire la conversation quand on fait chambre à part…
Et c’est sans parler des manipulateurs qui abusent des gens et inventent des théories et des faits alternatifs, qui sont alors là réellement stupides, pour le pouvoir et l’argent. Avec pour résultats : l’insurrection du Capitole américain, l’ordre du Temple solaire et le mouvement raëlien. Je veux bien mettre de côté mes préjugés et éviter le champ de mines cognitif, mais avouez qu’il y en a qui ne s’aident pas!
Évidemment, il y aura toujours des gestes complètement idiots (comme se brocher le vous savez quoi). Mais l’auteur nous rappelle qu’une action stupide n’est pas commise par une personne stupide. Et puisque l’évolution de notre espèce ne semble pas pressée de nous débarrasser de nos illusions cognitives, faudra redoubler d’efforts pour éviter les champs de mines. C’est une piste psycho-scientifico-philosophique intéressante pour inverser la tendance générale à la polarisation des discours. Et au final, si on se range à la majorité de ses arguments, il y aurait beaucoup moins de gens stupides sur Terre qu’on ne le croit. C’est rassurant, vous ne trouvez pas?
Intéressant
Ça mérite réflexion
Bien sûr, je lis et je porte un jugement sur ton texte grâce à mes propres paradigmes, alors tout ce que je peux en penser sera valable!.. 😜
Tu nous donne de l’espoir et c’est bienvenu. Certains jours, je me demande où s’en va l’humanité !