C’est la rentrée! Vous avez été nombreux, disons 50 de plus qu’espéré, à me lire cet été sur la plage, sur le ponton ou au chalet, entre Simon Boulerice, Patrick Sénécal et David Goudreault. J’me prends pas pour un 7up flat! Bienvenue, en passant, aux deux nouvelles personnes abonnées. Pour les autres, il n’est pas trop tard!
Pour cette édition, je me lance dans la critique littéraire. L’été m’a permis de faire quelques lectures dont Les rois du silence d’Olivier Niquet, introverti notoire, qui fait l’autopsie de sa condition, dans laquelle je me suis reconnu. Ça m’a donné envie de parler des introvertis, ceux qui n’ont pas la côte dans un mode d’instantanéité, d’opinion sur le vif, de radio poubelles, de politiciens populistes et d’influenceurs ostrogoths. Peut-être allez-vous vous reconaître?
En terminant, j’ai constaté peu d’appétit pour la section « T’as manqué ça? ». Elle a donc pris le chemin des fausses bonnes idées. Ça vous fait un p’tit pincement a coeur? Dites-le moi en commentaire!
Bonne lecture!
Je viens de terminer le dernier livre d’Olivier Niquet, Les rois du silence, et maudit que ça m’a fait du bien. Si vous ne savez pas qui est Olivier, il s’est fait connaître pour son rôle d’introverti dans la récemment défunte (snif!) émission de radio La soirée est encore jeune. Je dis rôle parce l’introverti est devenu, en 10 ans, un personnage plus grand qu’Olivier lui-même. Le bouquin présente avec humour le fruit de ses recherches scientifiques et sociologiques sur l’introversion (l’humour est l’arme secrète des Intros). On y apprend que sa condition complique ses relations humaines depuis toujours, même s’il est aujourd’hui une personnalité publique, habituée des caméras et des micros. Si j’ai tant envie d’en parler (ou plutôt d’écrire), c’est que je me suis beaucoup reconnu dans son livre. Je pense appartenir à ce groupe de silencieux. On n’a pas de poignée de main secrète ni de convention internationale. Mais ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas le pogo le plus bavard de la boîte!
Tout comme Olivier, j’ai compris très jeune que j’étais différent. Je ne saisissais pas comment les Autres s’y prenaient pour être si rapidement à l’aise dans un nouveau groupe. Les premiers jours de classe ont toujours été source d’angoisse. Je garde de très mauvais souvenirs de mes expériences de camps de jour et de camps de vacances. Me faire de nouveaux amis, beurk! Encore aujourd’hui, faire les premiers pas en amour, entrer en contact avec un nouveau collègue ou amorcer une discussion avec le barman (même captif derrière son comptoir), c’est l’Everest à chaque fois. Avec le temps, je suis devenu un grimpeur mieux outillé, capable de gravir le Mont St-Hilaire.
Incapable de parler en public les Intros? Ben non! Tout comme Olivier, je ne déteste pas les tribunes. J’aurais pu choisir de coller des codes-barres dans un entrepôt d’Amazon. J’ai préféré exposer ma vulnérabilité devant des adolescentes et adolescents au sens aiguisé de la répartie.
Si j’ai quitté la profession enseignante, ce n’était pas pour rentrer dans ma grotte. Donner de la formation à 30 adultes, ce n’est guère plus facile.
Pour une présentation, un cours, une entrevue ou une conférence, aucun problème. Au primaire, je courais le concours d’art oratoire du Club Optimiste. Au secondaire, je n'avais aucune peur maladive des exposés oraux. Parmi mes plus grands succès : Moi dans l’avenir, Les lapins, Le recyclage du papier et Faut-il suivre la mode? Mais quand il s’agit d’improviser, de faire du small talk ou de combler un moment de silence gênant dans une jasette, je sue à grosses gouttes.
Tout comme Olivier, il m’est souvent difficile de maintenir une discussion à plus de deux interlocuteurs. Dans une conversation, je passe plus de temps à penser à ce que je vais dire qu’à le dire. C’est que je préfère ne rien dire plutôt que de tenir des propos vides.
En fait, c’est que le cerveau des Intros montre une activité électrique plus intense dans le cortex frontal, la région liée à la prise de décision, la mémoire et la résolution de problème. Nous dépensons donc plus d’énergie que les Autres pour traiter les informations, ce qui purge nos batteries plus rapidement.
Voilà pourquoi suivre une conversation à quatre m’épuise totalement, surtout si le sujet ne m’est pas familier. Distingués collègues de bureau, je ne dors pas en réunion, je réfléchis! Quelles sont les chances de réélection de la CAQ ? Y aura-t-il une huitième vague de COVID-19 ? Doit-on boycotter la poutine à cause de la guerre en Ukraine? Je peux écrire 1500 mots sur le sujet, mais ne me demander pas de débattre mon point dans une conversation à cinq.
Un effet collatéral de ce besoin absolu de réfléchir avant de parler, c’est que les Autres pensent que je suis de leur bord alors que ça ne me tente juste pas de croiser le fer dans un combat perdu d’avance, parce que je ne trouverai pas les mots assez vite pour défendre mon point efficacement. C’est simplement de l’économie appliquée.
Parfois les extravertis prennent toute la place, tel un Mangemort qui fait une apparition à Poudlard. Ils consomment tout l’oxygène. Vous en connaissez ? Les Grandes gueules? Comme lors de ce souper au resto où un ami d’un ami d’un ami, une Grande geule championne toutes catégories, a débarqué en plein repas. Dès qu’il est entré, plus rien d’autre n’existait. Il fallait l’écouter parler et rire de ses propos insignifiants (lire cette phrase avec le plus grand dégoût).
Personnellement, je n’ai pas d'ami Grande gueule (mes proches seront rassurés!). C’est impossible, pour quelqu’un qui pèse le poids de chaque mot, de comprendre quelqu’un qui débite les siens comme une souffleuse à neige.
Comme le disait Confusius : « La parole est d’argent, mais le silence est d’or ». Toutefois, aujourd’hui, ce sont les Grandes gueules influenceuses qui sont couvertes d’or.
Réfléchir avant de parler, c’est à la fois un obstacle et une qualité rare en 2022. Internet est une révolution pour les Intros. Il s’agit d’une véritable victoire de l’écrit sur l’oral, de l’asynchrone sur le synchrone. Ils peuvent maintenant prendre le temps de traiter l’information, de cogiter à ce qui sera écrit et de se relire 20 fois avant de publier. Même le simple texto « On a-tu besoin de lait? » fait surchauffer mon frontal (imaginez ce texte de 1750 mots!). Tout ça pour dire que l’arrivée d’Internet a permis à des millions d’Intros de sortir de leur mutisme. Malheureusement, les Grandes gueules crient encore plus fort.
Tout comme Olivier, j’aime cuisiner. Je m'accorde alors le droit de me retirer seul en cuisine et de reposer mon cerveau de toutes les discussions qui s’animent au salon. Les Intros ont souvent besoin de solitude pour apaiser leur matière grise. Un souper seul au resto, un p’tit ciné en solo ou une balade en moto, ce sont des bénédictions. Pourtant, aimer la solitude n’a rien à voir avec la timidité. Le solitaire n’a pas besoin de socialiser alors que le timide a peur de socialiser. Et comme le mentionne Olivier : « Aimer être seul ne veut pas dire aimer être forcé à être seul ». La pandémie m’a privé de contacts interpersonnels, une situation que je n’ai pas choisie. J’en ai souffert, mais probablement moins que les Autres.
Tout comme Olivier, j’ai de bons amis extravertis. Malgré son talent, il affirme dans son livre qu’il ne serait pas arrivé là où il est aujourd’hui sans quelques Extras pour le pousser à sortir de sa coquille et faire grandir son cercle social. Heureusement, j’ai aussi été adopté par quelques Extras (vont-ils de reconnaître?). Peut-être parce que je suis une bonne oreille? Que je suis un public captif? Que j’argumente peu leurs propos? Peu importe, c’est pratique d’avoir des amis extravertis. Ils sont de véritables lubrifiants sociaux. Il est plus facile d’entrer en contact lorsque quelqu’un ouvre la porte pour toi. Comme je ne suis pas porté à aller vers les Autres, tisser des amitiés est un long processus. Voilà pourquoi je n’en ai que quelques-uns que je garde longtemps: ils m’ont tellement coûté cher en énergie.
Les Intros trouvent que les Extras utilisent trop de mots, donnent leur opinion sur tout et sont égocentriques. Les Extras pensent que les Intros n’ont pas de sentiments et sont plutôt sauvages. Avec Les Rois du silence, Olivier ouvre la porte au dialogue et à la compréhension des introvertis, eux qui composeraient le tiers de la population. Soyez gentils avec les Intros. Nous sommes probablement tous un peu introvertis, mis à part les Grandes gueules, à des niveaux variables. Il s'agit d'une condition et non d'une maladie mentale du DSM 5. Mettre des mots sur l’introversion a dû faire grand bien à Olivier, comme à moi, après avoir écrit ces quelques 1750 mots.
Vous vous êtes reconnus dans ces descriptions? On l’organise cette convention? Une idée de poignée de main secrète? Laissez vos commentaires! C’est la rentrée, le temps des résolutions pour le monde de l’éducation. Je veux écrire plus souvent, plus rapidement. Une résolution qui tiendra le coup?
Phylippe