Je ne sais pas si c’est la déprime automnale, mais maudit que je trouve l’actualité malcommode et bourrue ces jours-ci. On commençait à peine à se désintéresser de la guerre en Ukraine qu’ils en ont sortie une autre. Au moment où tu pensais l'avoir oublié, l’actualité te donne une tape dernière la tête!
Tout ça pour dire qu’en ces temps moroses, je préfère m’éloigner de l’éditorial. Tout ce que je connais de la Palestine, c’est le sketch de RBO qui n’a pas pris une ride depuis 25 ans. Je vous propose plutôt quelque chose de plus léger, comme les premiers flocons d’hiver. Et puisque je n’ai eu que deux critiques sur la version audio de ma dernière chronique, je récidive. Si vous vouliez me faire taire, fallait me le dire en commentaires (il n’est peut-être pas trop tard)! Comme la dernière fois, c’est en une seule prise.
Bonne lecture/écoute!
Attention: Le texte qui suit contient beaucoup de fuck, je préfère vous prévenir.
Le jeu
Vous connaissez? Le jeu porte différentes appellations anglophones: fuck marry kill, kiss marry kill, marry kiss kill, marry sex kill, marry shag kill, sex marry kill ou shag marry kill. En France, on le nomme épouse tue embrasse. Au Québec, on dit généralement marier tuer frencher.
Je vous explique rapidement. Il s’agit d’un jeu d’adolescents (mais pas uniquement) qui consiste à citer des personnalités publiques. Puis, chacun doit désigner, parmi les trois nominations, la personne avec laquelle il aimerait se marier, celle dont il pourrait se débarrasser définitivement et celle qu’il préférerait embrasser (pour la version cours d’école du primaire) ou faire le sexe (pour la version party de filles sur l’Aperol Spritz). Par exemple, on dirait: «Marier, tuer ou frencher Justin Trudeau, Pierre Poilièvre et Jack Ming Singh». Les Canadiens ont d’ailleurs commencé à jouer. Devinez qui on va marier pour 4 ans en 2024?
On mentionne souvent des stars de la musique, de la télé ou du cinéma, mais on peut tout aussi bien jouer avec des noms d’athlètes professionnels, de super héros ou même de nourriture (il faut dans ce cas faire quelques petits aménagements aux règles, car frencher un carré aux dates…). Selon le niveau de malaise désiré, on peut aussi désigner des collègues de travail. Ça ajoute du piquant dans un party de bureau! Et si on est à court d’idées, on peut trouver des applications, des comptes Instagram et même des jeux de cartes coquins.
Vivre sans jambes ou défiguré, que choisissez-vous?
D’où vient cet engouement pour ce jeu? Son origine demeure mystérieuse, mais il est fort à parier qu’elle est multiple, vu la grande simplicité du jeu. Celui-ci entre dans la catégorie de ce qu’on appelle en psychologie les questions à choix forcé. On place ainsi la personne devant un dilemme cornélien. Des exemples? Vivre sans argent ou sans iPhone? Euthanasier ton chien ou ta belle-mère? Cancún ou Riviera Maya?
Il vous est sûrement déjà arrivé de répondre à ce genre de sondage où la position neutre n’existe pas. Où vous devez absolument prendre position? Pour ou contre? Vrai ou faux? Sur une échelle de 1 à 4, quelles sont les chances que vous recommandiez le papier Cotonnelle à votre entourage? Pas de milieu. Pas de nuance. On vous force à éviter la neutralité, à vous mouiller, à indiquer votre préférence, même infinitésimale, pour l’un ou l’autre des deux extrêmes.
Ne pas nourrir la bête svp!
À quel point est-ce populaire? Mon cercle d’amies sur le Spritz est plutôt restreint, mais les références sur le web sont nombreuses, là où on fait trop souvent l’économie du débat et de la nuance. C’est très utilisé dans les balados humoristiques et sur YouTube. Et lorsqu’on demande aux participantes et participants de justifier leurs choix au micro, cela donne souvent lieu à des situations malaisantes, des propos à caractères sexuels ou à des blagues salaces. Tout ce qu’il faut pour nourrir la bête.
Parmi les pires controverses, j’ai relevé celle de Rihanna en 2018 qui n’a pas aimé entendre J. Balvin, un chanteur de reggaeton colombien, affirmer sur le web qu’elle n’était pas bonne à marier, juste à donner du bon temps. Comme il fallait s’en douter, les fans de Rihanna ont mis le feu à Twitter en un rien de temps et le Colombien a été contraint de s’excuser publiquement. À mon avis, il aurait mieux fait de dire qu’il voulait la tuer. Il aurait évité toute cette tempête médiatique. Mais peut-être l’a-t-il un peu cherchée?
Cette popularité n’est pas anodine et survient à une époque où le discours est de plus en plus polarisé particulièrement sur les médias sociaux, mais aussi dans les radio-poubelles. L’argumentaire se trouve souvent vidé de toute nuance au profit des positions extrêmes. Sans faire le procès de ce jeu, disons qu’il témoigne de notre époque, qu’il donne dans la polarisation du discours et qui ne fait preuve d’aucun empathie. Quand faut tuer, faut tuer. On ne peut pas en frencher deux! Ce n’est pas qu’un banal jeu d’adolescents, mais bien un véritable miroir de notre société.
Le regard moderne sait voir la gamme infinie des nuances. Maupassant
Le jeu ne comporte que trois règles fort simples qui tiennent en trois mots. Mais tous ne s’entendent pas sur les règles et des variantes régionales ou culturelles existent. C’est que, voyez-vous, il y a débat sur le web (oui encore là) à propos des dites règles. Ainsi, pour que le jeu propose réellement des choix forcés, il faut donner aux mots des sens précis et éloignés. Tout repose donc sur la définition des trois termes. Par exemple, certains prétendent qu’il faut donner au mot marier le sens de vivre ensemble pour l’éternité, sans sexe (une définition du mariage que partagent de nombreux couples). Alors que frencher signifierait avoir une relation sexuelle sans lendemain. La raison invoquée est que si marier veut aussi dire avoir du sexe, comme frencher, cela rend le choix moins difficile et surtout moins drôle. Mais tous ne sont pas d’accord avec cette définition du mariage. Je parle évidemment du jeu ici…
Ensuite, il y a tout le débat autour de kiss vs fuck, une version trop soft pour certains, mais nécessaire pour les animateurs d’émissions radio-canadiennes. Quant à la troisième option, elle semble faire consensus. Quoique, encore une fois, il faut apporter une petite nuance. On parle bien ici de « faire disparaître de sa vie » et non de « faire disparaître pour la vie ». Ce dernier sens pourrait être perçu comme une menace de mort et est passible de prison. Pour un jeu qui ne fait pas dans la nuance, ses règles montrent tous les dégradés de gris.
Alors on joue?
On s’en fait un avant de terminer? Marier, tuer ou frencher Ginette Reno, Céline Dion et Roxane Bruno. Facile. Je marie Céline pour l’argent et pour conduire toutes les motos que je veux (et je choisis la version sans sexe, évidemment). Je frenche Ginette, parce qu’elle n’a pas la langue dans sa poche et que ça ne doit pas être plate une nuit avec Ginette! Quant à l’autre, Roxane qui déjà? Bon débarras!
Tiens, je vous en offre un p’tit dernier pour vous mettre dans l’esprit des fêtes. Alors marier, tuer ou frencher le pain sandwich, la bûche de Noël et le Minuit Chrétien?