Vous pensiez que 2023 allait être enfin une année normale post-COVID? Eh bien, vous aviez raison! Notre bonne vieille Terre a poursuivi inébranlablement sa rotation comme si on n'était pas là. Les humains ont continué de faire ce qu'ils font de mieux, c'est-à-dire s'entre-tuer et marcher dans leur propre merde. Je prendrai ici l’exemple des conflits armés pour illustré la crise des médias. Mais remplacer le sujet par le réchauffement climatique, la perte de biodiversité, la déforestation, la corruption politique, etc. Disons que l’angle mort est assez large. Je sais, j’ai dit que je ne ferais pas dans l’éditorial. Oups!
L’actualité en 30 minutes top chrono
Selon Wikipédia, en date du 28 décembre, on comptait 23 conflits armés sur notre planète. Et notre mappe monde pourrait s’enflammer davantage en 2024 avec tous ces crétins qui jouent avec des allumettes autour d’un baril de poudre. La bisbille entre Israël et Gaza qui a atteint son paroxysme cet automne – ça reste encore à prouver – a capté toute l'attention médiatique et éclipsé du même coup ce qui se passe à Haïti, au Burkina Faso, en Somalie, au Soudan et en Birmanie, par exemple.
Les bulletins télévisés sont comme des enfants de six ans avec TDA, c'est-à-dire avec la mémoire d'un poisson rouge et la capacité d'attention d’une moule. À moins que ce soit leur auditoire qui aurait besoin d’un peu de Vyvanse? Même l'Ukraine, qui avait pourtant tous les yeux de la planète tournés vers elle pendant presque deux ans, jalouse maintenant Gaza comme un enfant après la naissance de sa p’tite sœur.
En même temps, qui peut vraiment couvrir l’actualité en 30 minutes ou en 35 pages-écrans? Pendant ce temps, trois conflits armés différents se déroulent actuellement au Congo. En avez-vous entendu parler? Est-ce de l’indifférence médiatique? Politique? Humanitaire?
Boycottage de Meta
Les grands médias ne sont pas les seuls à blâmer. Radio-Canada n’a plus les moyens d’envoyer Céline Galipeau en Ukraine quatre fois par année. C’est que les revenus publicitaires des médias d’information sont faméliques, aspirés dans les poches de Meta et Google. Si au moins ça voulait dire moins de pubs de Revitive Medic à la télé. Mais non...
Les moins de 30 ans préfèrent s’informer sur les médias sociaux. OK. Mais eux ne partagent plus les nouvelles des grands médias. «D'oh!», comme dirait Omer Simpson. Est-ce que les jeunes ont modifié leurs habitudes ou se révoltent contre cette nouvelle censure? On me glisse à l’oreille qu’aucune baisse d’activité notable sur les médias sociaux n’a été observée dernièrement.
On a pourtant tenu trois jours de boycottage de Meta en août et septembre, pour protester, d’un océan à l’autre. Avez-vous remarqué une réduction de contenus pertinents sur Facebook? Plus de vidéos de chatons pour compenser la diminution d’articles du Devoir? Plus de photos d’assiettes de foodies pour contrebalancer l’absence d’articles du Quotidien de Chicoutimi? Les 20 millions d’abonnés de Meta, eux, n’ont rien remarqué. Même QS et le PLQ ont suspendu leur boycottage estival pour espérer gagner la circonscription de Jean-Talon. C’est dire comment tout le monde s’en fout.
Google paie en argent Canadian Tire
Mais je suis bon joueur. Je suis reconnaissant envers Google qui a récemment signé une entente de 100 millions par année avec les médias canadiens. Ça représente quand même 0,068 % de ses revenus publicitaires canadiens en 2020. Ah oui, sachez que Google ne va payer en billet de 20 dollars puisque l’entente n’est pas uniquement monétaire et comprend aussi des services comme des formations aux journalistes [sic] et le partage de technologies. Si je faisais une vidéo sur Insta, vous me verriez ému aux larmes. Ça va peut-être inciter Zuckerberg à nous payer en livres de recettes et en calendriers de chats!
La bonne nouvelle TVA
La problématique est complexe. Devant la surabondance de mauvaises nouvelles, certains décident de ne plus s’intéresser à l’actualité parce que ça leur cause de l’anxiété. Ça s’appelle de l’évitement actif. C’est un commentaire que j’entends souvent. «Moi, je regarde plus les nouvelles. Trop déprimant!» Remarquez, je les comprends! Voir Patrice Roy nous montrer les cadavres de Gaza et des enfants avec des mouches dans la face au Yémen, ça coupe l’appétit!
Pour ramener les gens vers les bulletins d’informations, certains médias, comme TVA et Noovo pour ne nommer que ceux-là, propose l'actualité autrement. Ils utilisent un ton plus «hop la vie!», engagent des journalistes jovialistes ou insèrent plus de bonnes nouvelles. Si l’auditoire ne veut pas voir les Haïtiens s’entre-tuer à Pétion-Ville, on leur présentera des Québécois qui se font rôtir la bedaine à Miami Beach. Ça fait toujours de la bonne télé!
De la pizza pour Kherson
Surexposition? Hypersensitivité? Je ne sais pas. Une chose est sûre, même bien informé, je me sens démuni et impuissant devant ces conflits qui dépassent les limites de ma compréhension géopolitique et de l’horreur. Je veux bien signer des pétitions, faire un don à la Croix-Rouge et envoyer mon vieux linge à Kyïv, mais après? Être bien renseigné, ça sert à quoi si je ne peux pas changer les choses?
Y a bien des courageux qui se portent volontaires pour aller se battre au front, prendre soin des déplacés ou aider à reconstruire. Comme cet ancien dirigeant de RDS et de Bell Media qui distribue des pizzas dans les zones de combat ukrainiennes. Remarquez que moi aussi je serais plus intrépide et généreux de mon temps si j’étais à l’abri des hausses hypothécaires et de l’inflation.
Vendeurs d’héroïne
C’est peut-être le neuropsychologue François Richer qui a raison : «Les médias veulent le beurre et l’argent du beurre. Ils veulent l’effet choc, mais sans accepter les conséquences. Ils sont comme des vendeurs de sucreries ou d’héroïne : ils sont contents d’avoir une clientèle captive, mais quand leurs clients tombent malades, ils s’étonnent d’en perdre.»
Et pendant qu’on visionne sur Instagram des vidéos expliquant pourquoi la Terre est plate, donnant des recettes de dumpling ou montrant des idiots qui se pètent les «gorlots» sur une rampe de skate, on évite de se regarder dans le miroir. Parce que souvent, trop souvent, on est vraiment laids.